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Une usine de Montréal où l'on fabriquait du papier artisanal pendant des décennies ferme ses portes

Jul 30, 2023Jul 30, 2023

Nous sommes un mercredi après-midi d'août, après un été jusqu'ici particulièrement pluvieux, et l'eau monte sur le sol de la Papeterie Saint-Armand.

Ce n'est pas un problème nouveau. Le sol est généralement mouillé dans l’arrière-boutique, où une machine appelée le batteur – une énorme cuve en métal dotée d’un imposant volant d’inertie – se trouve à proximité de piles de chiffons, matières premières utilisées pour fabriquer du papier de haute qualité.

Mais aujourd’hui, un fusible a sauté et la pompe de puisard de la taille d’un chihuahua qui maintient normalement à distance la montée des eaux de crue est devenue silencieuse.

Bientôt l'eau atteindra les chiffons, les tas de jute, de sisal et de coton.

David Carruthers, vif à 82 ans, les mains noires de graisse, patauge dans les eaux peu profondes et tripote la pompe. Carruthers, qui fabrique du papier fin ici depuis près de cinq décennies, affirme que son travail le maintient en forme. Il y a toujours quelque chose à faire.

Lorsque lui et sa femme, Denise Lapointe, 66 ans, ne sont pas aux prises avec des inondations, ils fabriquent du papier que les artistes, imprimeurs et relieurs apprécient pour ses qualités uniques. Mais bientôt, ils ne le feront plus ici, dans le sous-sol d'une ancienne usine de linoléum à Ville-Émard, au bord du canal de Lachine.

Ils déménagent, déménagent et se dirigent vers une propriété rurale dans les Laurentides pour continuer à fabriquer du papier dans un environnement plus paisible et plus satisfaisant, qui n'est pas constamment inondé.

Les raisons habituelles dans une ville en pleine croissance et en évolution sont en partie à blâmer : hausse des loyers et des impôts élevés, difficulté à trouver des personnes prêtes à effectuer de longues heures de travail manuel mais, en fin de compte, Carruthers et Lapointe ont hâte de changer de décor.

Ils continueront à fabriquer du papier, comme ils le font depuis près de 50 ans, mais ce sera en plus petits lots, pour moins d'artisans, prêts à faire le voyage pour le trouver.

Leur départ a agacé une communauté d’artistes qui apprécient le papier et ne voient aucune alternative.

"L'avantage d'un papier comme celui-ci, c'est que l'encre glisse bien", explique Diane Coache, une relieuse amateur qui adore dessiner à la plume et à l'encre. "C'est fait pour ça et ça fait des textures magnifiques.

"Quand j'entends que des lieux comme celui-ci ferment, c'est pour moi comme si je perdais quelque chose qui nous permet de créer."

Coache quitte le magasin avec une nouvelle pile de papier qu'elle envisage de transformer en un nouveau carnet de croquis.

C'est un voyage de 30 minutes ici, pour elle. Mais lorsque Carruthers et Lapointe déménageront à la campagne, cela prendra une heure et demie.

"Ils vont être loin", dit-elle, mais ensuite elle y réfléchit. "Les autres magasins sont restreints et tout le monde a les mêmes produits. Ici, on peut trouver des choses uniques."

Peut-être qu'elle essaiera de faire le voyage, après tout.

Le journal en vaut la peine pour elle – et pour bien d’autres.

Le processus de fabrication commence avec les chiffons, qui proviennent de chutes de projets d'étudiants en mode ou de t-shirts bleu marine mis au rebut par les pompiers de Montréal. Du pur coton, parfois difficile à trouver.

Carruthers coupe le tissu en une masse mélangée, puis l'envoie dans le batteur, où il se mélange à l'eau pour former une pulpe épaisse.

La pâte est ensuite déposée en fines couches entre des feuilles de feutre dont les fibres laissent une impression sur le papier. C'est un processus que Carruthers maîtrise.

En 1982, Carruthers a été chargé d'un projet très important : il a utilisé des fibres canadiennes pour fabriquer le papier destiné à la proclamation de la Loi constitutionnelle, signée par la reine Elizabeth II. Un an plus tard, il utilise la même pâte pour fabriquer les feuilles de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Une fois le papier sec, il est prêt à être inspecté par Lapointe et empilé près de l'avant de l'atelier.

Ce n'est pas toujours mouvementé à la Papeterie. C'est souvent calme et les employés qualifient leur travail de « zen ». Mais ce jour-là, un moineau qui volait dans le moulin au sous-sol et s'y perdait décide de lui rendre visite.

Pendant que Carruthers résout les inondations mineures qui menacent de devenir un peu plus gênantes qu'elles ne l'étaient déjà, il allume et éteint également les lumières – pour tenter de faire partir le pauvre oiseau.